OEUVRE D'ART


LA PHOTOGRAPHIE 

QUAND DEVIENT-ELLE OEUVRE D'ART ? 





Au sein de notre société saturée par l'omniprésence de l'image, où tout propriétaire d'un smartphone peut être considéré comme photographe, on peut se demander quand la photographie peut être élevée au rang de photographie artistique... nous vous proposons quelques éléments de réponse dans cette section !


Quand elle est accrochée au mur ?

 
Tout comme c’est en Amérique que Paul Durand-Ruel est allé chercher une reconnaissance méritée pour les impressionnistes, c’est à la galerie 291 – gérée par le photographe Alfred Stieglitz et située au 291 Fifth Avenue à New York City de 1905 à 1917 - que se sont tenues les premières expositions dédiées au médium et qui l’ont placée au rang d’art, au même titre que la peinture et la sculpture.

En effet, Stieglitz a eu l’ambition de proposer des expositions mêlant la photographie à des œuvres plus classiques, rapprochant ces disciplines différentes et remettant en cause la hiérarchie jusqu’alors établie entre les genres.
 

Exposition de photographie à la Galerie 291 d'Alfred Stieglitz

 


Quand elle entre dans une collection institutionnelle ?

 
Le MoMA à New York est le premier musée à avoir fait l’acquisition d’œuvres photographiques, dès son ouverture en 1929. En 1940 il y ouvre un département consacré au médium photographique, et détient désormais une collection de plus 25 000 œuvres d’artistes, de journalistes, de scientifiques et d’amateurs.
 

 
En France, il faut attendre 1978 avec la décision de constituer un fonds photographique au musée d’Orsay, suivant les grands projets de transformation de la gare en musée. A compter de cette date, la collection reste à constituer puisqu’au contraire des autres techniques artistiques, la photographie n’a jamais fait l’objet d’un rassemblement par une institution en France.
 


Quand elle devient une discipline à part entière ?

 
La photographie s’expose dans les murs de musées dédiés en France, comme à la MEP, au Jeu de Paume, ainsi qu’au sein de festivals et de foires sectorisés à travers tout le territoire. Mais c’est moins parce que la photographie ne fait pas partie de l’art, que parce que c’est un médium très spécifique, qui demande expertise.

En effet, la photographie est aussi présente dans les grandes institutions – au Centre Pompidou, dans les stands des plus grandes galeries internationales à la FIAC, mais également comme lot d’exception lors de grandes ventes aux enchères généralistes.
 


Quand elle a une intention créatrice ?

 
Plutôt qu’utiliser des critères esthétiques pour évaluer le caractère artistique d'une photographie, son originalité semble être un critère plus pertinent, bien qu’il ne soit pas non plus toujours aisé de définir ce concept.

L’originalité d’une photographie peut se traduire par le fait que la photographie porte « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » ou a minima « une marque d’apport personnel » du photographe.


© Alfred Drago Rens, courtesy Galeria L'Affiche


Quand elle est limitée en nombre ?

 
Pour certains photographes, comme Henri Cartier-Bresson par exemple, la personnalité de l’auteur est indéniable. Nous pouvons peut-être trouver en ce principe, la raison pour laquelle il n’a jamais limité ses tirages.

Dans le domaine de l’art, la rareté est un concept primordial qui créé la demande et de fait, participe à augmenter le prix.

L’idée est de considérer l’équilibre entre d’une part le concept de l’œuvre unique qui prime pour les autres médiums artistiques, et d’autre part la légitimité du photographe à tirer une photographie à plusieurs exemplaires.
 


Qu’en dit la loi ?

 
En droit français, il existe une définition légale précise encadrant la photographie et ses tirages. Etonnamment, on constate que cette définition est issue du Code des impôts, choix pouvant être lié à la fiscalité très spécifique et réglementée sur les œuvres d’art.

Il s’agit de l’article 98A de l’Annexe III du Code Général des Impôts :
« Sont considérées comme œuvres d’art les photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus. »


Quand vous le décidez ?

 
 « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux. » (Marchand de sel : écrits de Marcel Duchamp, Marcel Duchamp, Paris, Le terrain vague, 1959)

 « Comme il faut bien imposer des limites à l’étude d’un art qui ne cesse de les repousser, la photographie n’est prise en compte ici que lorsqu’elle intervient dans le "monde de l’art" » (L’art contemporain en France, Catherine Millet, Paris, Flammarion, 2015)

Charles Chadwyck-Healey, grand collectionneur de photographie, relativise lui-même sa passion : « La photo est créative mais ne peut se comparer à la peinture qui se conçoit à partir de rien .» (Interview Les Echos, 21 mai 2005)

David Hockney (peintre figuratif qui a aussi composé des mosaïques de photos) : « J’ai exploré la photo car c’est la façon dont des gens voient le monde, mais cela m’a toujours ramené à la peinture » [Extrait du dossier de presse de son exposition actuelle à Pompidou]

Pierre Keller, directeur flamboyant de l’ECAL mais aussi artiste discret, interrogé en 1994 lors de son exposition d’agrandissements issus de polaroïds : « Si appuyer sur un bouton c’est être photographe, alors je suis photographe ! »